Rénovation globale des copropriétés : combiner les intelligences

Article co-rédigé avec Xavier Colin de Rexylience et publié dans le cadre d’un dossier Construction21 sur la rénovation. Cette version inclut des références et crédits supplémentaires.

Parler de l’IA fait peu de sens pour quiconque cherche à tirer bénéfice des technologies que le domaine engendre dans son secteur. Car celles qui en sont issues traitent assurément toutes de données numériques, mais aux formats et fins différents. Quelles pistes de travail envisager lors de projets de rénovation de copropriétés ? L’IA peut-elle s’appliquer à la rénovation ?

Les approches d’IA peuvent par exemple être utilisées pour effectuer des prédictions statistiques comme le fait par exemple le CSTB pour prédire les caractéristiques du bâti inconnu dans les bases de données et ensuite extrapoler les DPE. Avec le phénomène récent ChatGPT, on parle beaucoup de l’IA pour désigner tous les outils de traitement de texte notamment : avant même la popularité de ces agents conversationnels, de nombreux modèles d’IA permettaient l’émergence de solutions d’extraction d’informations ou de génération de contenu à partir de la donnée texte. Ces solutions permettent d’analyser des documents comme des contrats, des rapports ou encore des articles, et parallèlement de produire  : communication numérique, support client par mail ou chat, rapports divers par exemple. 

Une autre déclinaison de l’IA concerne tout ce qui relève de l’image : de la constitution de bases de données à partir de photos satellitaires (ex : toitures des bâtiments) à la retranscription de documents scannés, ces approches permettent également la production d’images comme les solutions DALL-E et ses consœurs ou encore les deepfakes popularisés plus récemment. Et ce n’est pas tout. 

D’autres groupes de technologies d’approche d’IA, différentes par leur fonction ou le format des données auxquelles elles s’appliquent, existent ou se combinent entre elles. Par exemple, les approches de modèles adversaires ont permis à Stanislas Chaillou (architecte et data scientist) d’explorer le potentiel de l’IA générative pour différents aspects de la conception de bâtiment résidentiel par un architecte : empreinte au sol, programmation, ameublement, etc. Certaines approches dites d’apprentissage par renforcement peuvent apprendre à traiter une tâche donnée à partir de simulations dont on sait évaluer le résultat (ex : partie d’échecs dont on connaît le résultat à la fin).

Figure 1 : Parcours d’une rénovation en copropriété (schéma ANAH MPR Copropriété agrémenté)

Comment se saisir de cette diversité de technologies et à quelles fins ?

Deux étapes sont clef dans une telle démarche. Premièrement, identifier les processus auxquels une technologie d’IA pourrait s’appliquer. Deuxièmement, évaluer la faisabilité et les impacts attendus de cette application.  

Pour l’identification de cas d’usages, questionner l’usage du numérique à chaque étape et enquêter sur les informations traitées au format numérique est un bon point de départ : qui travaille avec des images ? Quels déplacements sur site pour collecter des informations pourraient-ils être évités ? Quelles informations sont visibles à l’œil nu à partir de photos de l’extérieur ou du dessus ? Les mêmes questions peuvent se poser sur la donnée documentaire issue par exemple de PLU, de règlements de copropriétés, de documents d’AG, ou encore d’archives numériques ; ou bien sur les bases de données plus structurées issues de la comptabilité, d’outils de gestion et de logiciels métier. Enfin, ces réflexions peuvent être complétées par des sources de données externes déjà utilisées au quotidien, de cadastre.gouv.fr à Wikipédia en passant par Géorisques, à titre d’exemple.

Ensuite, évaluer la faisabilité et les impacts attendus de l’application d’IA est une tâche plus complexe, qui fait intervenir des compétences spécifiques.  
Car mettre en production une application qui s’appuie sur une technologie d’IA et aboutit à un résultat professionnel et maîtrisé nécessite un travail conséquent : sur la modélisation du processus ciblé et le processus à venir, sur le travail de collecte et de traitement des données, de même que sur les modèles d’IA à proprement parler. Ces coûts d’accompagnement et de recherche et développement sont élevés car ils font appel à différentes expertises encore onéreuses et impliquent parfois l’achat ou la location de matériel et de logiciel. Développer un prototype d’IA peut coûter des dizaines de milliers d’euros alors que le produit fini peut coûter plusieurs millions d’euros en fonction du cas d’usage.

Face à cela, il faut bien sûr mettre en avant les bénéfices apportés par la solution data ou IA, dont les projets visent généralement à obtenir des gains de temps (ex : analyse des PLU) ; de nouveaux indicateurs ou informations pour améliorer la qualité d’un service (ex : pré-remplissage ou  intégration de données liées aux impacts environnementaux ou futurs aléas climatiques), ou encore à débloquer une nouvelle fonctionnalité (assistant virtuel, saisie vocale d’informations lors d’une  visite, etc.).
Alors, c’est l’analyse de cette balance qui vous permettra de faire les différents choix d’intégration d’applications d’IA dans vos processus au regard des coûts et bénéfices attendus : lancement ou non ; internalisation, sous-traitance ou achat sur l’étagère ; niveau de performance et confiance des résultats recherchés. Pour ce faire, Bpifrance et certaines collectivités cofinancent par exemple des études préliminaires ou le développement de prototypes des PME.

Figure 2 : Le Triptyque « Temps-Argent-Confiance » de la rénovation globale des copropriétés

Quelles pistes d’applications prometteuses ? 

Le premier élément à prendre en considération est le faible recul sur les applications matures d’intelligence artificielle du fait de la difficulté d’évaluer et de prouver le rapport coûts-bénéfices. Le second est celui spécifique à l’usage des données dans la rénovation car ce secteur fait face à plus de complexité de collecte des données. 
Depuis l’émergence de l’IA comme phénomène tendance au milieu des années 2010, on peut constater l’avènement de plusieurs start-ups, appels à projets, travaux de recherche, sur cette thématique. Reprenant l’approche proposée dans la partie précédente, nous avons pris pour exemple et agrémenté le processus de rénovation de copropriété proposé par l’Anah pour identifier des opportunités à exploiter. 

En explorant les cas se prêtant à l’usage de l’IA et en estimant de potentiels bénéfices à obtenir, voici une liste non exhaustive de pistes pour lesquelles l’IA pourra ou ne pourra pas nous permettre de nous améliorer durant les prochaines années :

  • L’IA pourra : identifier des opportunités pour initier un projet de rénovation globale de copropriété. Les bases de données et systèmes d’information géographique (cartes dynamiques) se sont multipliés pour fournir des éléments de priorisation et de stratégie des acteurs du financement et de la sensibilisation. Les approches prédictives peuvent estimer la propension d’une copropriété à s’engager dans un projet à partir de diverses sources de données ;  
  • L’IA ne pourra pas : inspecter automatiquement les bâtiments. Cela paraît évident, mais le préalable à tout diagnostic nécessite le relevé et la vérification de données sur site, faute de bases de données suffisamment structurées et régulièrement mises à jour pour atteindre le niveau attendu des diagnostics et audits immobiliers. De plus, les appareils de mesure nécessaires aux mesures doivent être opérés par des techniciens et restent très coûteux. Le champ de recherche sur le « Scan2Bim » reste néanmoins à surveiller avec l’arrivée des LIDAR sur les smartphones ;  
  • L’IA pourra de mieux en mieux : estimer des diagnostics. Performance énergétique, analyse en cycle de vie, confort : à mesure que des bases de données publiques, de gestionnaires, de fournisseurs de capteurs se constituent, les extrapolations de diagnostics pourront bénéficier d’études ou nouvelles données s’appuyant sur des techniques d’IA ;  
  • L’IA ne pourra pas : prendre en compte toutes les typologies et toutes les caractéristiques des bâtiments. Fort heureusement, un particulier ne sera jamais tenu à remplir un formulaire obligatoire avant d’entamer une isolation d’intérieur pour réduire ses déperditions et améliorer son confort ou traiter un pont thermique. De plus, les besoins des bâtiments varient en fonction de leurs caractéristiques techniques et du climat local, dont la totalité des combinaisons ne pourra jamais être modélisée. C’est le propre des approches empiriques sur des grandes quantités de données : elles ne sont pas pertinentes pour gérer des exceptions ;  
  • L’IA peut déjà : accélérer les processus administratifs. Les outils de lecture ou remplissage automatique de documents s’améliorent, notamment que les modèles d’IA de traitement de texte ont amélioré leurs performances génériques ;  
  • L’IA ne pourra pas : réaliser les travaux. En revanche, l’IA intervient déjà dans des processus de calepinage de façade ou d’optimisation de conception d’isolation extérieure ou d’éléments fabriqués hors-site par exemple ;  
  • L’IA peut : transmettre des connaissances de manière ergonomique. Le développement d’assistants virtuels spécialisés peut permettre aux professionnels, voire aux habitants, d’avoir une réponse rapide et ergonomique à leurs questions. Si le développement d’assistants virtuels basés sur les grands modèles d’IA est devenu très accessible, la production d’un assistant aux performances robustes et transparentes (niveau de confiance du résultat, références, sources) reste un défi ;  
  • L’IA peut : intégrer la diversité de données et contraintes environnementales dans les calculs. Aux différentes étapes de financement, d’études et de conception des travaux, différentes approches d’IA permettent d’estimer les nouvelles contraintes climatiques et facteurs d’atténuation des impacts environnementaux des projets : par des approches d’entraînement sur simulation ou tout simplement par la constitution de nouvelles bases de données.


Les technologies d’IA pourront donc humblement contribuer à l’amélioration des performances, sans pour autant garantir une révolution ou une disruption comme un marketing excessif pourrait le laisser penser. Pour les étapes de conception et les outils numériques en général, les technologies de « Scan2BIM » pourraient néanmoins jouer un rôle conséquent dans la digitalisation du patrimoine et l’IA apporte des approches qui peuvent y répondre en partie.  

Les technologies d’IA appliquées à la rénovation posent quelques problématiques pour en garantir la contribution. D’une part, il faut garantir que les gains de temps et de qualité attendus de ces technologies puissent bien être réinvestis dans l’accompagnement. Soit pour un accompagnement plus qualitatif d’un projet, soit dans l’accompagnement d’un plus grand nombre de projets. Pour ce faire, ces technologies doivent trouver leur place dans la chaîne de valeur pour apporter plus de bénéfices qu’elles ne vont en capter. D’autre part, la question de l’acquisition et du partage des données est cruciale et se pose à l’ensemble des acteurs du secteur : quelles données ouvrir ou mutualiser pour faire de ces technologies autant d’outils issus de – et au service de – l’intelligence collective ? Cette question de constitution et partage de bases de données est probablement même plus impactante que le point spécifique des applications d’IA qu’elles permettront.  

Nous croyons finalement que ces technologies peuvent nous aider si et seulement si les gains qu’elles apportent contribuent au triptyque temps – argent – confiance qui constitue les incontournables freins à lever pour assurer la réussite des projets de rénovation de copropriété.

Article co-rédigé avec Xavier Colin de Rexylience et publié dans le cadre d’un dossier Construction21 sur la rénovation. Cette version inclut des références et crédits supplémentaires.

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